En constante évolution, l’industrie de la musique connaît aujourd’hui une réelle augmentation de son offre. En effet, le nombre de nouveaux titres sortis chaque jour est en croissance exponentielle.
A titre d’exemple, Spotify avait déclaré avoir ajouté à son catalogue près de 49 000 nouveaux titres par jour en 2022. En comparaison, ce chiffre était de 27 000 en 2019. Fin 2022, le catalogue du géant suédois proposait déjà plus de 100 millions de titres, avec pas moins de 8 millions d’artistes.
On estime aujourd’hui que près de 100 000 nouveaux morceaux voient le jour quotidiennement sur les différentes plateformes de streaming musical (SoundCloud, Spotify, Apple, et autres), et ce peu importe le jour de la semaine.
Mais quelles sont les causes de ce phénomène et quel avenir réserve-t-il à l’industrie musicale ?
Comment ça s’explique ?
On peut expliquer ce phénomène de diverses manières.
Premièrement, on peut parler d’une facilité de production : la musique est aujourd’hui beaucoup moins chère à produire. Si auparavant il était impératif d’enregistrer en studio et avec des musiciens, aujourd’hui le digital a pris le dessus. Les artistes n’enregistrent plus forcément en studio, les logiciels de production ont pris le dessus sur les instruments physiques, et il existe même des générateurs de musique avec intelligence artificielle. Produire sa musique peut ainsi se faire à moindre coût, et il est donc plus accessible de produire plusieurs morceaux pour un artiste.
De plus, on peut observer une explosion et une démocratisation des offres de mise en ligne de la musique : n’importe qui a aujourd’hui la possibilité de mettre sa musique en ligne. Par exemple, les distributeurs proposent des offres attractives pour les artistes indépendants, et certaines plateformes comme Soundcloud permettent à n’importe quel utilisateur de publier son morceau directement sur la plateforme.
Enfin, une tendance à créer des morceaux plus courts qu’avant a commencé à émerger ces dernières années. En effet, d’après une étude du site américain Quartz, la durée moyenne d’un morceau est passée de 4 minutes et 16 secondes en 1998 à 3 minutes et 3 secondes en 2019.
Suivi de la tendance des formats courts dans le digital (notamment avec TikTok), durée d’attention diminuée chez les consommateurs, ou peut-être simple volonté de faire plus de morceaux courts pour augmenter ses rémunérations ? En tout cas, les chiffres parlent d’eux-même : en l'espace de vingt ans, la durée des chansons a radicalement diminué, et on estime même qu’elle sera de seulement 2 minutes en moyenne en 2030 d’après le cabinet britannique Future Laboratory.
En bref, aujourd’hui, sortir sa musique est largement plus facile pour les artistes, et cela expliquerait le bond du nombre de sorties journalières auquel nous faisons face actuellement.
Quelles sont les conséquences ?
Mais alors, quelles sont les conséquences engendrées par cette augmentation sans limites de nouvelles sorties ?
Pour les artistes et les labels, le débat est mitigé.
En effet, le contexte permet ainsi aux petits artistes d’avoir une chance de se mettre en avant et de proposer leur musique dans un catalogue. Ici, les plateformes de streaming musical bénéficient aux artistes indépendants, qui se voient plus nombreux que ceux signés en major. D’après le Financial Times, en 2020, les artistes indépendants ont sorti 9,5 millions de morceaux, contre 1,2 millions pour les artistes signés en major.
Néanmoins, plus de nouveaux titres, c’est plus de concurrence. Il devient difficile pour les artistes de se faire entendre et de se démarquer parmi les 100 000 sorties quotidiennes : on estime par exemple que 80% des artistes présents sur Spotify possèdent moins de 50 auditeurs mensuels ! Les artistes et les labels voient ainsi la promotion des artistes en développement devenir de plus en plus compliqué étant donné l'offre de sortie. Cela devient d’ailleurs encore plus problématique d’un point de vue de rémunération, puisqu’ils vivent des revenus du catalogue : les artistes indépendants voient leurs chances de se démarquer des autres diminuer.
Pour les gros artistes, la domination des charts est aussi plus compliquée. Les artistes restent moins longtemps numéro 1 face aux constantes nouveautés ! Le média Vox avait étudié en 2016 le nombre de semaines écoulées entre le premier et le dernier "pic" des 50 premiers artistes du Billboard dans le Hot 100. L’étude avait ainsi démontré qu’auparavant, les top artistes pouvaient être présents dans les charts Billboard jusqu’à plusieurs décennies : c’était par exemple le cas d’Elvis Presley (47 ans), Michael Jackson (46 ans) ou encore Prince (38 ans). En parallèle, l’étude a montré que les top artistes arrivés après les années 2000 ne restaient pas aussi longtemps présents dans les charts, comme par exemple Taylor Swift (9 ans) ou encore Adele (8 ans).
Pour les distributeurs et les applications de création musicale, cette augmentation est pourtant une aubaine : de plus en plus d’artistes vont chercher à créer des nouveaux morceaux et à les distribuer. Cette augmentation leur profite donc, étant donné que les agrégateurs sont payés à la mise en ligne.
A titre d’exemple, DistroKid a annoncé en 2021 que la plateforme recevait près de 35 000 nouveaux morceaux chaque jour, soit en moyenne plus d’un million par mois ! La même année, le catalogue de la plateforme contenait près de 20 millions de titres, avec plus de 2 millions d’artistes. En comparaison, c’était seulement 250 000 artistes qui étaient inscrits sur la plateforme 2 années plus tôt.
Enfin, pour les auditeurs et les plateformes de streaming, on retrouve également une problématique. Si l’accès à la musique est facilité pour les auditeurs, il leur est néanmoins impossible d’écouter chacun des titres sortis quotidiennement. Là où réside la puissance des plateformes de streaming, c’est dans la recommandation. Il est donc évident qu’avec l’explosion du nombre de nouveaux titres journaliers, tout se joue sur la recommandation des titres aux auditeurs. Pourtant, ces derniers pourraient passer à côté d’artistes moins connus, sans pour autant être moins talentueux.
“Nous devons rendre la vie plus équitable pour les créateurs, sinon nous perdrons le prochain Paul McCartney” prévient Björn Ulvaeus, président de la CISAC, la Confédération Internationale des Sociétés d’Auteurs et Compositeurs.
A chacun de réussir à se faire une place et se faire entendre… Peut-être par le biais d’autres types de plateformes ? TikTok, par exemple, pourrait être une alternative puisque le réseau social offre la possibilité aux petits artistes de se faire connaître facilement et rapidement grâce à la viralité générée par la plateforme.